Ceci est un article rédiger par la Premiere.fr
Pendant que Booba, Rohff et La Fouine s’écharpaient à coups de clashs interposés, le rap français a vu apparaitre en 2012 un ovni répondant au nom de Kaaris. Mis en lumière par son apparition sur le titre « Kalash » de B2O, le rappeur à la voix caverneuse et aux punchlines de boucher ne laisse pas indifférent. Mais qui est-il vraiment .
En un couplet sur le dernier album de Booba, Futur, Kaaris s’est propulsé parmi les nouveaux poids lourds du rap français. Traumatisés par le style gore du rappeur de Sevran (et notamment sa phase sur son gros doigt pied), certains auditeurs n’ont pas hésité à le baptiser « Chuck Norris du rap français » sur les réseaux sociaux. Mais si Kaaris impressionne pour son tour de bras (« 50 cm« , affirme-t-il) et ses punchlines violentes, il serait réducteur d’en faire une simple brute épaisse. L’homme qui se fait aussi appeler Houdini a la tête pleine et plus d’un tour dans son sac.
Si beaucoup viennent de découvrir le phénomène, Kaaris est dans le circuit depuis plus de dix ans. Sa carrière a commencé à décoller en 2010, avant que Booba nel’invite sur sa compilationAutopsie 4. Tremplin sur lequel il a bien capitalisé en sortant en mai dernier le projet Z.E.R.O, une excellente mixtape appuyée par des clips évocateurs, comme « Bon qu’à ça » :
Le Chuck Norris du rap français ?
Quand on écoute Kaaris, on retient deux choses : son obsession guerrière et le nombre incalculable de connotations sexuelles plutôt violentes, les deux étant souvent associés (« tempête de douilles, je lubrifie pour pas que leur schnek rouille » et autres joyeusetés). Du coup, il est vite catalogué comme un simple bourrin sans cervelle ou au mieux comme un sous-Booba, ce qui revient au même. D’ailleurs le rappeur du 92 dit se reconnaître dans l’univers du « K double A », et c’est bien normal : Booba qui écoute Kaaris c’est un peu Stallone qui découvre la filmographie de Jason Statham.
Mais si Kaaris cultive un style cru, ce n’est pas qu’un beauf qui gueule des gros mots. D’abord parce qu’il a de l’humour (« tu cours partout comme une pucelle dans un champ de bites« ), et un sens de la formule efficace. Des questions existentielles comme « si je te fends le crâne en deux, quel œil va se fermer le premier ? » (sur « Kalash »), ce n’est pas à la portée du premier venu et surtout c’est très visuel, laissant le soin à l’auditeur d’imaginer cette scène truculente digne d’un Conan le barbare.
En plus du recul sur son personnage (« j’ai peut-être des tocs, j’ai Gilles de la Tourette« ), il joue beaucoup avec son côté Chuck Norris qui fait le bonheur des réseaux sociaux. Vous vous souvenez des répliques cultes « je mets les pieds où je veux et c’est souvent dans la gueule » ou « je te dévisse la tête et je te chie dans le cou » (Full Metal Jacket) ? Kaaris construit des lyrics sur le même modèle : « je suis là, avale. Ou je te baise toi, ta re-mè, et même ton village natal« , etc.
Attention : on aurait tort de penser que c’est juste le défouloir d’un MC qui ne sait pas écrire autrement. Kaaris le dit lui-même, il est parfaitement au courant de ce qu’il fait, en d’autres termes c’est maîtrisé : « Je suis pas stupide. Je suis conscient de ce que je fais. Je sais que vu ma musique… je sais que je pars avec une balle dans la jambe, c’est normal que les radios ne me jouent pas. Ça se fera petit à petit« , déclare-t-il au détour d’une interview. Ajoutons que l’artiste sait aussi que c’est la forme qu’il a choisie qui le différencie des autres et lui permet de se détacher : « je ne suis pas spécialement plus dur que d’autres rappeurs hardcore. C’est juste que quand c’est moi qui le dit, on le retient, ça rentre bien dans les cerveaux, c’est toujours mieux que de passer à côté« . Choquer l’auditeur, tout un art qui ne doit rien au hasard. N’importe qui peut débiter des insanités mais il suscitera selon le public, désintérêt, ennui ou consternation. Kaaris fait ce qu’il faut pour échapper à ces écueils.
Des références surprenantes
Tout comme Chuck, Kaaris aime rappeler qu’il en impose physiquement, parfois avec des références surprenantes (« torse taillé dans la roche, style Haussmannien« ). C’est une autre de ses caractéristiques : l’artiste adore associer vulgarité et subtilité. Du coup, l’effet est assez troublant voire comique. Beaucoup de rappeurs se vantent de la taille de leurs attributs ou de leur puissance de feu, Kaaris lui, fait dans l’original : « Selon le CNRS, l’univers est en expansion comme ma bite« , ou « on se promène avec des guns de la taille de Mimie Mathy« .
Le lexique scientifique et médical contraste souvent ses passages les plus wtf (« ouais l’ancien, tu connais le rap aussi bien que ta poche urinaire« ). Niveau associations saugrenues, il se pose là : « tu nous découvres sur les ondes comme un archéologue qui trouve sa propre tombe« .
Mais surtout, même dans le registre de l’insulte et de la menace pure, Kaaris a toujours la périphrase bien tournée avant de conclure sur son sujet de prédilection : « s’il est vrai que le printemps est annoncé par l’hirondelle, mon album annonce un objet contondant pour vos rondelles« . C’est quand même mieux qu’un banal « je vais vous niquer« . Même chose au niveau de la concurrence, systématiquement renvoyée à une image enfantine avec un amusement non dissimulé (« MC, je trouve que tu t’exprimes beaucoup chaque fois qu’on t’enlève ta tétine« ).
Trap Music à l’africaine
Au-delà de la violence, au fil des morceaux, on sent une vision d’ensemble. Kaaris définit son rap comme de la Trap Music, et comme les artistes U.S, le côté divertissement se double souvent de la description d’un univers sombre et sans espoir. Les idées violentes et macabres qui jalonnent ses chansons (« mon esprit ne pense qu’au deuil« ) lui viennent en partie de son voyage dans son pays natal la Côte d’Ivoire en 2004 pendant la guerre. Un pessimisme incurable qui infiltre tous ses morceaux (« L’Afrique c’est un milliard de Jésus sur des croix« ). On décèle un ras-le-bol général et la conviction qu’il n’y a rien à attendre ici (« ne supporte plus ta république, comme un putain de mauvais greffon« ). Du côté de la rue, il évoque l’illicite, rien d’inédit mais c’est toujours sa façon d’en parler qui le sort du lot, comme son « accouché par le goudron, je grignote mon cordon dans le hall« , qui donne une dimension organique et fataliste au côté « né dans la rue » revendiqué par ses confrères.
Maintenant qu’il a trouvé sa formule, le challenge de Kaaris est de transformer l’essai avec son premier véritable album solo, qui doit voir le jour en 2013. On verra alors si le Chuck Norris du rap français est capable de bousculer la hiérarchie et de se hisser parmi les poids lourds du genre.
Via premiere.fr