“Sur le fil du rasoir” le nouvel album de Kool Shen est caractérisé comme l’album de la sagesse. Sorti début 2016, l’album attise la curiosité, surtout quand on a obtenu, comme lui, un vif succès par le passé notamment via son duo avec Joey Star dans NTM. Avec le temps, les aspérités des artistes peuvent changer, les envies peuvent évoluer… L’intégrité semble caractériser le travail artistique de Kool Shen, ses mots n’ont de cesse d’être engagés contre une politique qui divise, ses mots tentent d’être optimistes face à une société en mal d’ellemême. Joint par téléphone depuis le Québec, il était important de le rencontrer afin de connaître ses nouvelles ambitions et de pouvoir revenir sur sa carrière qui n’est plus seulement musicale, mais aussi cinématographique…
Vous aviez déclaré en 2009 que votre disque serait le dernier, pourquoi ce retour ? Comment est né ce nouvel album ?
J’ai réalisé une pause dans la musique parce que j’ai fait beaucoup de cinéma et pas mal de Poker pendant ces cinq dernières années. Le retour s’est réalisé il y a deux ans car Busta Flex que j’avais rencontré via IV My People m’a appelé pour réaliser un remix d’une de ses chansons qui s’appelle “soldat”. Je suis donc revenu poser en studio, nous avons crée ce morceau et à ce moment là j’ai repris du plaisir à faire de la musique, j’ai recommencé à écrire. Lorsque j’ai eu quatre morceaux, j’ai donc dit par la suite à ma maison de disque que j’étais prêt à réaliser un nouvel album.
Les mots, votre “rime” à qui vous dédiez une de vos chansons de l’album, c’est important pour vous. L’écriture vous estelle revenue naturellement ?
Oui, sur le fond, cela est revenu assez rapidement, après puisque j’ai eu une absence de quasiment sept ans, les sons ont beaucoup changé dans le hiphop, ils sont beaucoup plus électroniques, les prods sont plus lentes qu’il y a une dizaine d’années… Le travail, le challenge que je m’étais fixé était donc de pouvoir prendre des prods actuelles et de réviser mon flow afin de pouvoir faire groover ces prods. Après concernant le contenu en luimême, le fond, cela est revenu naturellement.
Vous proposez toujours du rap conscient, la chanson “La France est internationale” critique le Front National et le dernier morceau de votre album notamment qui s’intitule “Debout” a été écrit après les attentats du 13 novembre. Dans ce morceau, vous évoquez une “unité” nécessaire. Croyez vous en cette unité ? Quel message souhaitez vous faire passer ?
Il y a un côté assez désabusé dans tout l’album et “Debout” est effectivement le morceau le plus positif. J’ai un fils de treize ans et je me dois de l’être… il faut se lever tous les matins, et se réveiller avec un sentiment seulement désabusé cela est compliqué, nous sommes obligés d’être optimistes. Maintenant, estce que je crois réellement que l’on puisse s’unir contre cette barbarie et cette division qu’il peut y avoir en France, mais aussi généralement sur la planète ? Je ne sais pas trop … J’espère qu’il y aura des sursauts. Des évènements terribles comme les attentats du 13 novembre en France ou encore celui contre Charlie Hebdo en janvier 2015, ou ailleurs dans le monde, cela devrait réveiller l’inconscient collectif.
Pensez vous que les artistes devraient davantage s’engager face à cette montée de l’extrême droite ?
Non. Je n’ai jamais pensé que la musique devait être spécialement engagée. J’écris des choses sur ce qui m’entoure, sur la société mais je ne considère pas que les artistes ont le devoir de s’engager. J’aime écrire du rap conscient mais je peux me retrouver aussi dans la musique de gens qui n’écrivent pas pour dénoncer ni avec une certaine révolte. En revanche, je trouve cela très bien quand l’écriture est engagée…
La nouveauté aussi dans ce nouvel album ce sont des morceaux davantage chantés notamment celui qui s’intitule “Saistu danser” en duo avec Soprano, Comment s’est passé cette collaboration ?
La personne qui est à l’origine de ce morceau s’appelle Jeff Le nerf, il a réalisé plusieurs morceaux de mon album. Il a écrit ce refrain et il était d’abord question que ce soit lui qui le chante, comme pour le morceau “Faudra t’habituer”, mais nous nous sommes dit que cela serait bien que l’on trouve quelqu’un d’autre pour interpréter cette chanson. Jeff m’a proposé Soprano, je me suis dit qu’effectivement cela était une bonne idée. Cela s’est ensuite fait simplement, j’ai appelé Saïd Saïd M’Roumbaba, dit Soprano , nous ne sommes pas amis mais nous nous sommes croisés à plusieurs reprises dans nos carrières artistiques, c’est un artiste que j’apprécie. Lui, notamment avec Psy4 de la rime, ce sont des artistes qui représentent pour moi une certaine relève à NTM, ce sont des gens qui transpirent, qui mouillent le maillot quand ils sont sur scène. La collaboration s’est donc très bien passée.
Vous avez également collaboré sur ce nouvel album notamment avec Lino qui est un grand nom dans le milieu du rap, que pensez vous de la scène rap en France aujourd’hui ?
Nous aurions pu difficilement imaginer que la scène rap francaise et internationale prenne cette ampleur. Ce que je pense de la “nouvelle scène” est compliqué car il y a beaucoup de diversité ; à mon avis, les jeunes artistes qui sont mis en avant par les médias, musicalement parlant, ce sont des personnes qui ont grandi dans la musique contrairement à nous, le rap francais à notre époque n’existait pas vraiment, musicalement ils sont donc très doués. Cela est parfois très difficile pour moi de me reconnaître dans leurs paroles, mais cela doit être aussi une question d’âge.
En quels artistes croyez-vous par exemple ?
Ceux que je pourrais citer sont peut être des artistes moins mis sur le devant de la scène, comme Furax Barbarossa, Niro …En ce qui concerne des artistes un peu plus médiatisés, certains font aussi du bon travail, je reconnais du talent à beaucoup de personnes mais de là à dire que je suis fan de tout l’album c’est autre chose.
Comment vous sentez vous personnellement face à cette nouvelle génération ?
Je n’essaie pas de me placer par rapport à ces artistes, j’essaie de faire dans la continuité de ce que j’ai pu être, ne pas trahir ce que j’ai pu raconter. Comme j’ai pu le dire tout à l’heure, il s’est passé sept ans entre le dernier album et celuilà, j’ai donc essayé d’actualiser ce que je pouvais faire mais globalement je ne me positionne pas par rapport aux autres. J’espère que chaque artiste a une identité propre et qu’elle peut exister individuellement, sans se dire que parce qu’on est dans le hiphop, que nous appartenons donc à une mouvance… l’intérêt est d’avoir chacun son originalité.
Vous avez pratiqué une nouvelle passion pendant cette absence de la scène musicale, à part le poker, vous avez joué au cinéma, notamment avec Isabelle Huppert dans “Abus de faiblesse”, un film de Catherine Breillat. Quels sont vos prochains projets cinématographiques ?
J’ai un film qui sort cette année, un film sur le don d’organe, Réparer les vivants, en novembre prochain. Les acteurs principaux sont par exemple Tahar Rahim, Emmanuelle Seigner ou encore Anne Dorval. Katell Quillévéré est une réalisatrice que je trouve extraordinaire. J’ai peu d’expérience dans le cinéma, mais j’ai eu un réel plaisir à tourner ce film. D’autres choses se profilent dans l’année, qui ne sont pas encore tournées, encore à l’état de projet.
Est ce que vous envisagez vous lancer dans la réalisation de film ?
J’ai commencé à écrire… mais le réaliser je ne pense pas. L’écrire est déjà assez difficile, je le coécrit avec un ami. Aujourd’hui je ne me sens pas prêt à réaliser un film.
Avec ce nouvel album, vous allez commencer votre tournée française cet automne, avez vous le projet ou l’envie de vous rendre avec cet album jusqu’au Québec ?
Je suis en discussion avec un tourneur, cette année c’est trop tard, même pour les festivals car ma tournée commence en septembre mais oui, je suis partant pour faire des concerts partout dans le monde ! Si je suis invité au Canada comme nous l’avions été avec IV My people dans les années 2000, je viendrai volontiers.
Le nouvel album de Kool Shen «Sur le fil du rasoir» est disponible en téléchargement légal.