Par Alvin Gereral
Vendredi 3 mars est sorti le 8e album de l’un des groupes les plus légendaires du rap francophone. Révolution (contraction de Rêve et Evolution) est, en effet, le dernier projet du groupe IAM.
Les deux premiers extraits vidéo de l’album ont reçu un accueil plus que chaleureux de la part des fans du groupe et des amateurs de Hip-hop en général.
L’album a reçu un très bel accueil puisque l’on parle (à l’heure d’impression) de plus de 21.000 copies digitales et physiques (donc sans compter le streaming).
Autant vous dire que j’étais très excité à l’idée d’interviewer ce groupe légendaire. Et d’emblée, dès la première piste de l’album on se retrouve immédiatement immergé dans l’univers inimitable d’IAM. À l’heure où tant d’artistes doivent muter et se transformer pour continuer d’exister pas eux, comment expliquer cette longévité de style, sans forcer ?
Inter-Peura a rencontré le groupe Marseillais, dont les initiales tiennent pour Imperial Asiatic Men. Au cours de cette entrevue tout en confidence autour de ce dernier projet, Akhenaton se livre sans détour et fait le un bilan sans tabou du rap francophone au Québec et en France.
Tout d’abord, j’aimerais que l’on parle du parti pris artistique et idéologique fait sur le choix de cette pochette. Un micro devenant un poing fermé rappelant l’idéologie Black Panther. Pourquoi ce choix ?
À l’origine on avait opté pour une pochette un peu plus fournie, mais une fois l’album terminé, on s’est re-penché sur le tracklisting au complet. En prenant ce recul, on s’est rendu compte que ce qui se dégageait le plus de cet album, c’était notre engagement. Alors, nous avons réévalué les soumissions que nous avions reçus, et la réflexion nous a fais réaliser qu’il serait peut être plus judicieux, cette fois-ci, de miser sur une pochette plus représentative de notre engagement citoyen qui nous tient à cœur en tant qu’artistes, notamment à travers le micro. C’est pourquoi on a choisit cette pochette, plus épurée, mais si représentative.
Dans le même élan, Révolution, est un titre d’album a consonances multiples, surtout si on décrypte le sous titre « Rêve et Evolution » discrètement inscrit sur le micro de la pochette d’album. Pouvez vous nous expliquer le concept derrière ce nom ?
L’idée du titre est un mélange entre les mots, rêves et évolution. Une combinaison. C’est la symbolique d’un constat qu’on fait sur le monde d’aujourd’hui, dans le contexte d’un monde ou les révolutions, souvent tournent mal, dans un monde de plus en plus violent. Tu sais, j’aimerais partager quelque chose avec toi. Je ne sais pas comment ca se passe au Canada, mais chez nous en France, à l’école, dès tout petit, on nous apprend que le rêve est un gros mot. Nous on y croit ! La société Française d’aujourd’hui est fragmentée. On a un sentiment d’éparpillement de la société, là où on voudrait amener les gens plus proches les uns des autres.Notre idée avec ce titre d’album, c’est d’essayer de maintenir le rêve intact et de se battre pour le changement, car c’est le seul moyen de faire avancer les choses, de faire évoluer la société.
L’album est composé de 19 pistes, très emprunt de votre sonorité et sonne définitivement East coast, définitivement Marseille. Où l’avez vous enregistré ? En combien de temps ? Comment se passaient les séances studio, quel est votre mindset pour la mise en production ou en écriture ? Une petite anecdote ?
En général quand on rentre en studio on utilise notre temps de manière très efficace. Certains morceaux peuvent être pliés en 3 heures, alors que certains peuvent mettre des mois à être finalisés. L’énorme avantage qu’on avait sur la réalisation de cet album fut le fait de bénéficier d’un studio résidentiel et ce en Thaïlande, dans un cadre idyllique. On était en studio tout le temps, ce qui évidemment pour nous voulait dire, vraiment tout le temps ! On pouvait rester enfermés ensemble aussi longtemps que l’on voulait. On dormait sur place, mangeaitsur place, on pouvait discuter de l’album quand on voulait… Cela à duré un mois de bonheur. Le luxe suprême. Ca reste un de mes meilleurs souvenirs d’enregistrement d’album. Avec cette facilité on a pu reprendre nos esprit, le fait d’être loin de la ville aidant, on a pu composer nos albums au fil de la création, en prenant notre temps. Certains morceaux pour autant on pu mettre plusieurs mois a être entièrement réalisé.
Comment s’est fait le choix des producteurs ?
Toutes les productions ont été assurées par Imhotep et moi même (Akhenaton), Shurikn et Kheops ne se sont pas investit dans les productions, mais on espère les retrouver a bien d’autres niveaux dans l’album. Pour autant, je sais de source sure qu’ils ont vraiment envie de revenir a la production… Mais on espère vraiment qu’on pourra les remobiliser sur le prochain album ! C’est un album uniquement fais par le groupe pour le groupe et les fans.
Déjà un autre album ?
Forcement puisqu’on arrive au bout d’un contrat qui a été renouvelé, d’où cet album. C’est grâce au public et au succès de « Arts Martien » (2013, Def Jam France). On nous a propose de signer pour deux nouveaux albums. C’est une occasion rêvée pour nous, et si dieu nous prête vie et sante on aimerait continuer l’aventure encore. Mais avant tout c’est la tournée le plus important.
Combien de morceaux avez-vous enregistré avant de sélectionner les 19 tracks qui composent l’album ?
14 pistes étaient sures pour l’ensemble du groupe, ce qui ne nous a pas empêche de composer un album de 25 pistes. Nous avons du échanger et nous mettre d’accord sur les pistes restantes, chacun avec ses préférences.
Ainsi on a fais beaucoup plus de morceaux que ce qu’il y a sur l’album. Alors comme dirais les Marvels, on fais « Les accords de Sokovie ».On garde le tronc commun pour donner une direction artistique commune et puis on s’adapte.
La couleur de l’album sonne IAM a un tel point que je n’ai pas été surpris de retrouver un titre comme « Ils ne savent pas » aux influences reggae et avec un sample de « KRS ONE – Mc’s act like they don’t really know ». Le mélange de style est quelque chose auquel les rapeurs s’essaient peu en général, peut tu nous parler du titre ?
C’est une bonne question, et figure toi que c’est un parti pris. Les tracks « Rigormatis », « ils ne savent pas » et les autre tracks sur l’album, cela a toujours fais partir de notre style musical. Le Reggae, comme le Dancehall, la musique digitale jamaïcaine, le ska ou le Rocksteady est au moins écoutée massivement par au moins 4 membres du groupe. On est des enfants de Bob Marley, de Steel pulse, d’Israelites, de Ken Wolf, de Berren Ammond, de Gregory Isaac, ou encore de Franky Paul… En fait, si tu regardes il y a toujours eu des influences reggae dans nos albums, mais c’est vrai que c’est la première fois quelle sont aussi présentes. C’est un choix volontaire de sauter le pas et on espère au les auditeurs vont nous suivre dans cette inspiration. On va même tenter des titres uniquement reggae.
« La lune c’est le soleil des loups » ma track préférée sur l’album, tout simplement parce… C’est réel, la manière dont le thème de la misère sociale est abordé dans le morceau faire rire nerveusement par sa réalité.
Effectivement. C’est une bonne analyse. Pour l’anecdote, nous sommes de grands fans de Lino, et cette ligne est actuellement issue de l’un de ses morceaux. Un jour où ça passais à la radio issue d’un album solo de lino, dans un texte un jour, alors que j’écoute rarement la radio, je tombe sur un de ses morceaux.
On l’a trouvée Belle et poétique et on s’est dit « pourquoi ne pas écrire un texte dessus ? »
L’idée mise en avant, c’est le concept de se contenter de peu. L’idée c’est que la où il y a peu de lumière on se raccroche a la lune a la place du soleil. Car c’est souvent la où il y a peu que l’on donne beaucoup.
On a grandit comme ça, on s’est contenté de peu et on a fait de grandes choses. Même si la chanson est mélancolique, lancinante, elle ouvre sur quelque chose de positif. Et c’est ce concept de construire avec peu. C’est un morceau un peu a part dans l’album. Très lunaire, très aérien, il a quelque chose de diffèrent.
Quand j’étais petit avec ma petite sœur, évidemment, on « Dansais le MIA » devant la télévision de nos parents, ça c’était chill. Mais je me rappelles aussi m’être pris le clip de « Petit frère » sur « MCM » un matin avant d’aller à l’école. Je me rappelle qu’à l’époque ça m’avais choqué par le réalisme de la violence qu’il représentait… Si tu devais faire un suivi, il est devenu quoi petit frère bientôt 20 ans après ?
Tristement pour nous, le constat est le même, voir pire qu’avant. 20 ans plus tard, petit frère n’aurais pas défoncé le pare brise du proviseur avec une batte de baseball, il aurais sans doute une arme à feu. Et si on devais projeter le futur de l’individu, il est soit mort, soit en prison soit coincé dans son quartier dans une réalité à laquelle il n’a pas su échapper aujourd’hui. La situation sociale a peu bougé en France. L’école de la république, les quartiers, rien na changé c’est même devenu plus dangereux.
Comment vous est venu le choix des instrumental à la fin de l’album?
Un peu par Hasard. On avais compose beaucoup d’intrus, on écris des textes dessus, et des fois des instrumentaux vraiment géniaux sont malheureusement laissés pour compte car on arrive pas a écrire dessus. Et on s’est aussi laissé dire que les fans pourraient beaucoup apprécier ca. Peut-être en freestylant par dessus également.
Question d’un fan : John Eloi, un des habitués du site Inter-peura demande : En ce moment vous participez a la tournée « L’Age d’or du rap français » en France, (avec Oxmo, Stomy, Passi, Busta Flex et j’en passe) quelle sensations ça fait de se retrouver dans cet univers et avec ce public ?
On malheureusement pas pu faire la tournée, mais on a fait la date à Paris, au Nouveau Casino. Simplement parce qu’on a notre tournée en même temps et que ca pourrait prêter a confusion. Mais évidemment, ça rappelle des bons souvenirs : c’est des artistes qu’on croisé il y a 20 ans, c’était presque une ambiance colonie de vacances, adorable.
En préparant l’interview, je suis tombé par hasard sur un entretien d’un groupe Québécois que je ne connaissais pas à ce moment là mais qui parlait de vous. Dans un entretien Vice l’un des membres du groupe, LaF, explique avoir été largement influence par IAM dans ses débuts. Ça ressemble a ça (je joue un extrait du morceaux « Pas l’temps » de LaF). Quel effet ça te fait d’avoir cette influence, qu’on pourrait finalement qualifier de grandissante ? Connais un peu le rap Québécois ?
Ça sonne bien ! C’est un grand honneur pour nous. On vit une vraie histoire d’amour avec le Québec. On a toujours été bien accueillit, quand on est venu a Québec jouer dans les plaines d’Abraham, pour nous c’est magique. Dès le premier album on eu la chance de pouvoir venir au Québec de faire même des freestyles dans des radios d’universitaires. À l’époque tout le monde rapais en anglais au Québec, il y avais peu de rapeur francophones, c’était les années 90, et du coup on est revenu chaque année, on a fais de nombreux concerts et a chaque fois on croisait des groupes de rap français qui revenaient du Québec et qui nous disaient « c’est votre maison, la bas c’est incroyable » et on leur expliquait, que ça fait, 10 15 ans qu’on vient la-bas et que c’est avec plaisir. C’est aussi pour ça qu’on met le maximum de pression sur la maison de disques pour que les clips sortent le plus vite possible. Alors évidemment c’est beaucoup de paperasse car les accords administratifs ne dépendent pas que de la maison de disques, mais on essaie de réduire l’écart au maximum pour satisfaire les fans.
Une de vos tracks a particulièrement retenu mon attention, c’est la piste mélodique avec l’artiste Myriam Saci une chanteuse Montréalaise. Comment s’est fait la rencontre avec l’artiste et comment s’est déroulé l’enregistrement du titre ?
C’est une rencontre qui, la première fois s’est fait sur un Keter set, un set musical de Imhotep. Il avais organise un concert a Marseille qui réunissais de nombreux artistes don Myriam Saci. Le courant est bien passe entre nous, tant humainement que musicalement, et je l’ai par la suite invitée sur mon album solo « je suis en vie » il y a 2 ans de cela. Puis on a participé ensemble à une exposition à l’institut du monde arabe « du Bronx au monde arabe » qui racontait comment le hiphop s’est transmis du Bronx au monde arabe. Alors ça a été une évidence pour nous de l’inviter sur l’album. Ça a été un des dernières morceaux qu’on a enregistre, et une seule grosse déception a été de ne pas pouvoir venir au canada pour enregistrer avec elle.
La tournée pour l’album « Révolution » (sortit le 3 Mars dernier) est prévue pour le mois de novembre cette année, peut on attendre des live accompagnées de musiciens ? Une date est elle prévue au Québec?
On a hâte à cette tournée ! Après les festivals d’été, on commencera la tournée en France à partir de novembre et puis près dans le monde, et notamment au Québec. Hâte de défendre cet album sur scène.
Vous avez également participé à Hiphop symphonique en France où vous avez rappé accompagné d’un orchestre symphonique : peux-tu revenir sur cette expérience ?
C’est vraiment un porte qui est ouverte, on a adoré cette expérience. C’est en terme de moyens que ca peutêtre complique ceci dis. On pourrais le faire sur certaines dates ponctuelles, mais en tournée, ca serait compliqué … Mais qu’est-ce que ca serait magique !
En parlant de Paris, la Capitale est en ce moment secoué par des histoires de violence policières. Quel regard portez vous sur l’affaire Theo ?
On a pris position avec IAM, on a signé la pétition. On a toujours dis que s’il n’y avais pas de justice dans ce pays. Selon nous, la punition policière doit être équivalente ou supérieure à celle des autres citoyens. Il faut arrêter de relaxer, d’innocenter, de donner des peines de prison avec sursis, quand ils ont commis une faute : ilsdoivent aller en prison.
Dans le morceaux « Bien plus beau » featuring Myriam Saci (dernière piste de l’album Révolution) tu rap: « Nos dirigeants que font ils, RIEN, a parlent nous chanter leur comptines » est-ce que c’est votre constat sur la vie politique aujourd’hui ?
Constat sur le thème des migrant car il n’y a rien qui est fait. Tous les candidats aux élections parlent de cette situation, mais rien n’est fait. Il y a des gens qui meurent en mer, des noyades par centaines, il a des gens qui sont abattus sur les plage comme des animaux. Notre pays a toujours été une terre d’accueil, aujourd’hui pourtant j’ai le sentiment, qu’on est passé a une autre logique, une logique de rejet, de crainte, de peur. On voudrait que les gens soient accueillis dans des conditions décentes. La Comptine qu’on chante aux gens, c’est fermer toute les frontières. Est ce que c’est la meilleur proposition, celle de Marine Le Pen, de revenir a ce que c’était la France y’a 50 ans? Ils veulent faire des bonds en arrière, c’est passéiste, vont empêcher le progrès de notre pays, c’est gens ont tout faux
Il semble qu’une part importante de l’électorat du Front National soit les 18-24 ans qu’est-ce ce que ca t’évoques ?
Le monde a changé et c’est aux jeunes de faire la différence, il faut qu’Ils en prennent conscience. C’est maintenant que ca se passe.
Comment vous positionnez cet album dans votre discographie ?
Super heureux de cet album ! Pour le placer dans notre discographie, on attend encore un peu, car même a l’époque de « l’Ecole du micro d’argent » … ??? Ce qui est sur c’est qui s’agit pour nous d’un album majeur dans notre carrière. Mais il faut encore un peu de recul pour l’apprécier dans toute sa saveur.
Combien de temps à attendre avant le prochain album ?
Ça ne devrait pas trop tarder…
Un film sur IAM comme NWA l’on fait serait-il envisageable ?
Okay, mais par contre quelle période serait la plus exploitable? Marseille, New York. L’histoire du groupe est si complexe, c’est tellement de tranches de vies additionnées. Et à chaque tranche de vie tu pourrais avoir un film en entier, avec ses histoires, ses personnages. Je pense que c’est une bonne question à se poser. Une trilogie ? Pourquoi pas, à suivre …