Alors que je posais le pied sur le sol québécois pour la première fois en tant que résident permanent, à la descente de l’avion, ma première action fut de m’interroger à voix haute : “Mais qui sont les emcees les plus chauds à Montréal ?” . Le nom d’Obia Le Chef, immédiatement, jaillit. Evidemment, j’exagère : j’ai d’abord pris le temps de récupérer mes bagages. Mais romancer mes propos vous montre à quel point ma faim de découverte du hip hop local est immodérée ! Trêve d’anecdotes, le rappeur dévoile aujourd’hui un 10-titres très attendu intitulé Soufflette, via la maison de disque 7ième Ciel. A table !
Une cuisine dans l’air du temps…
L’opus s’ouvre sur le surprenant Queuleuleu et sa première ligne saisissante : “Enterrez-moi près du fleuve en Yves-Saint-Laurent”. Point d’apéritif, Obia Le Chef nous sert d’entrée un plat très moderne, à l’approche savamment minimaliste, avec sa rythmique pétillante et mitraillée et son refrain catchy qui empoigne. La trap francophone n’a pas à rougir, je l’ai déjà écrit, je le réitère, et l’artiste annonce la couleur. Sur Scuse, le beatmaker Freaky balance la sauce. Notre emcee n’a plus qu’à poser les gimmicks et les onomatopées inhérentes au registre comme du caviar sur ce plateau déjà gourmand.
Dans cet esprit trap très frontal et très efficace, citons Ten. Le track percute par son introduction textuelle très forte, très intimiste : “Né à longueuil, grandi à Montréal, j’ai fait mon deuil, enterré mon père à Laval…”. Pas de faux-semblant, Obia Le Chef pose son coeur dans l’assiette, engagement d’un emcee qui met un point d’honneur à rapper avec ses tripes sur des sujets délicats : l’intolérance, la drogue, l’industrie musicale… En terrain glissant, l’artiste montre d’incroyables qualités d’équilibriste.
De la confiance, de la justesse et de la sincérité dans la composition, un ancrage culturel prononcé, de la légèreté, parfois, comme sur Bonne : la recette Obia Le Chef multiplie les ingrédients qui emmèneront sa préparation vers la réussite.
… Mais aussi classique et exotique !
Sur Yalla, le rappeur nous propose un plat un peu plus classique avec la participation de l’inénarrable Roi Heenok qui, de derrière les fourneaux, épice la recette de son charisme légendaire. Oubliez un instant le parfum trap qui emmitoufle le disque pour ce beat à la saveur du début 2000, chorus langoureux, rythmique boom-bap : on joue sur l’effet “Madeleine de Proust” pour donner au morceau sa petite touche sucrée.
Délectons-nous d’un autre mets de choix : CQJVD, avec la participation du duo belge Caballero et JeanJass, que l’on ne présente plus, pour une combinaison High Et Fines Herbes qui relève encore plus le morceau. Sur cet anthem ego-trap diabolique d’efficacité, buriné, tout le monde met la main à la pâte et personne ne se gauffre. Exotisme encore sur le track très estival Pas Né : un refrain presque chanté, un beat ensoleillé, le tout montre une efficacité quasi-caribéenne terriblement grisante.
Concluons…
Soyons honnêtes : on ne m’avait pas véritablement vanté les mérites de la gastronomie québécoise en arrivant sur le sol canadien, il y a maintenant six mois. Pourtant, après écoute de ce 10-titres terriblement efficace, tout me porte à croire qu’il y a eu méprise ! Avec Soufflette, Le Chef Obia livre, en effet, le manifeste d’une grande cuisine, audacieuse, sucrée-salée, métissée et intemporelle, assisté par des commis de renoms à l’image de Benny Adam, High Klassified, Kaytranada, Freaky ou encore DoomX. N’hésitez pas à l’attaquer à grands coups de fourchette ! Bon appétit.